Pour ses décapodes favoris, l’artiste Jérôme Durand a imaginé de nouvelles aventures dans ce remarquable terrain de jeu. Magnifiquement intégrés, ses crabes s’en donnent à coeur joie !
Propos recueillis par Frédérique GUIZIOU pour le Ouest-France.
Photo : Autour de l’oeuvre « Séquoia mon amour », l’artiste Jérôme Durand (à gauche) avec Eric Guellec et Dominique D’Hervé, respectivement président et directeur du Conservatoire botanique, Jacques Perrot, dirigeant de l’entreprise de serrurerie A2C et Matthieu Simon, directeur des carrières Lagadec, mécènes du projet.
Entretien
D’où vient votre fascination pour les crabes ?
Je ne suis pas du tout un sculpteur animalier ! Juste un Breton qui a passé son enfance à la pêche à pied ! Et il faut dire que le crabe, découpé ou plié, se prête fantastiquement à la sculpture… Et j’adore la fusion, le travail du feu. Mon grand‐père avait une fonderie, à Plérin, aujourd’hui tenue par mon cousin.
Ces crabes sont une déclinaison de votre projet « balises ». Vous pouvez l’expliquer ?
Je travaille sur les notions de territoire depuis une trentaine d’années. Depuis vingt ans, au gré de mes déplacements, je pose des balises, des petits cylindres de bronze, partout sur la planète. Avec une « carotteuse » thermique, spécialement conçue pour que je puisse les enfoncer même au coeur du granit. Un travail très personnel, que j’appelle de « l’archéologie contemporaine ». J’en ai posé 114 jusqu’à présent, c’est ma « constellation terrestre ». J’en ai posé une dans une « marmite de géant » près du Conquet. Une autre dans le bijou de nombril d’une danseuse du ventre à Marseille. J’imagine que ces balises seront redécouvertes dans un millier d’années et qu’elles soulèveront des questions… Les crabes sont une extension de ce travail de balisage. Mais là, je demande la participation des collectionneurs.
Tous vos crabes sont différents ?
Oui, et il n’y a pas de limite d’échelle. Les plus grands que j’ai jamais construits, comme le Soliste, se trouvent ici, au Stang Alar, cet endroit que je trouve merveilleux. Certains n’ont pas de nom, comme celui qui mesure 4 m, qui sert aussi bien d’arche que de parapluie. Les crabes ont tous leur initiale, « T » pour tourteau, « A » pour araignée. Le chiffre qui suit équivaut à son poids. « A 192 », c’est une araignée qui pèse 192 kg. Et, comme ils sont en acier, un matériau vivant qui évolue et se transforme, ils vont bronzer, rouiller, s’oxyder, noircir, tout un tas de couleurs que je vénère.
Une explication sur ces cartes du monde également installées ?
Je transforme des cartes mondiales au gré de mes installations. Pour le portail du Conservatoire, j’ai ainsi créé deux mappemondes. Fantaisistes, elles affolent les géographes mais font plaisir aux rêveurs. Elles sont centrées sur deux de mes balises, l’une sur l’île de Sumatra, l’autre dans le golfe du Saint‐Laurent.
Comment avez‐vous mis en scène vos crabes dans ce jardin où règne la biodiversité ?
J’ai dû développer, autour des crabes, un travail de sculpture plus important, certains se promenant avec des reliques, comme le « Gisant du Crabe Royal du Kamtchatka » ou d’autres nécessitant des accessoires, comme le « Trône Royal » et ses deux crabes porte‐drapeaux… J’essaye d’avoir un minimum d’humour ! Dans la chute d’eau, j’ai placé « l’Étrille au bain », une scène plus intime, qui montre que mes crabes ont pris possession du lieu, qu’ils s’y sentent bien… Comme dans « Séquoia mon amour », clin d’oeil littéraire, où le crabe embrasse cet arbre absolument remarquable.
Vous proposez aux visiteurs d’adopter un crabe ! Comment ça marche ? La « carte mondiale de l’invasion » est la colonne vertébrale du projet. Ce n’est pas une invasion « guerrière », elle est plutôt poétique. Les visiteurs qui adoptent l’un de mes 500 crabes, chacun étant une pièce unique en métal, dessinée et découpée de ma main, vont y participer en indiquant, sur le carnet disponible au pavillon d’accueil, le nouveau lieu de résidence de leur protégé. Des gens m’envoient ainsi des photos de leur crabe sur leur terrasse, dans leur jardin, leur camping‐car… La localisation de chaque sculpture permet de tenir à jour la déclinaison cartographique : au 1er juin 2016, après tout juste quatre ans, l’aventure suscite beaucoup d’engouement, 3 722 crabes y étaient déjà répertoriés !
L’exposition « Abri Côtier », jusqu’au 14 novembre, au Conservatoire botanique, vallon du Stang‐ Alar.
Crabes à adopter : 20 € le petit, 40 € le grand. Contact : 02 98 41 88 95.
© Ouest-France : article paru dans le journal du 17 juin 2016