Monsieur le Président, chers collègues,
Si vous le voulez bien, nous allons un peu remonter le temps.
Hiver 54, un hiver rude, glacial, – 15 degrés. Dans la France de l’Après-Guerre, la Reconstruction n’a pas tenu toutes ses promesses car des familles entières se retrouvent sans logis, vivant dans des bidons-villes, dehors, dans la misère la plus totale.
Des personnes meurent de froid dans la rue.
Révolté devant ces drames humains, Henri Grouès, plus connu en tant qu’Abbé Pierre, lance un appel le 1er février 1954, il y avait 70 ans hier, sur les ondes de Radio Luxembourg pour venir en aide aux sans-logis, agir vite pour que personne ne couche plus dehors.
La population entend cet appel fraternel du fondateur d’Emmaüs ; elle se mobilise et s’organise pour livrer nourriture, couverture, tentes, poêles, massivement.
70 ans après cet appel, Monsieur le Président, mes chers collègues, où en sommes-nous concernant le logement en France ?
La situation a-t-elle radicalement changé ?
Les politiques publiques menées au plan national ont-t-elles pris la juste mesure de ce qui se passe ?
En 10 ans, le nombre de sans-abris a plus que doublé.
Le nombre de familles et d’enfants qui dorment à la rue est de plus en plus important.
La crise du mal-logement, la pauvreté et la précarité énergétique explosent et touchent des personnes, des territoires, qui jusqu’ici étaient épargnés.
Vient de paraître le 29ème rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement.
Que dit-il ?
15 millions de personnes sont toujours menacés par la crise du logement, plus de 4 millions de nos concitoyens et de nos concitoyennes en souffrent directement, dans leur quotidien.
1er poste de dépense, le logement participe en effet grandement à l’étranglement financier que subissent nombre de ménages.
Beaucoup ne peuvent plus se loger dans le parc privé.
Avec le durcissement de l’emprunt, la hausse des prix de l’immobilier, des loyers et des travaux, les pénuries, le ralentissement de la construction, c’est tout le secteur, c’est une immense partie de la population, qui sont aujourd’hui confrontés à une crise profonde à laquelle le Gouvernement ne répond pas, après avoir mené une politique du logement antisociale contre les organismes HLM, contre leurs locataires.
Comment notre territoire pourrait-il échapper à cette crise profonde, à cette situation tendue sur le logement et à toutes les problématiques qu’elles induisent ?
Les besoins de la population pour se loger sont grandissants au sein d’une ville et d’un territoire très attentifs à la qualité de vie des habitants.
Pour répondre au défi de la crise du logement et contrer les phénomènes d’exclusion, la solidarité entre citoyens et citoyennes, l’action des associations du champ social, dont nous partageons les valeurs et qui sont naturellement des partenaires incontournables de notre collectivité, ne peuvent pas, à elles seules, tout résoudre.
Toutes et tous ici, nous en conviendrons : c’est de politiques publiques ambitieuses, au plan national, au plan local, à la hauteur des besoins, qu’il s’agit de mener, avec l’ensemble des partenaires.
La crise du logement représente un véritable enjeu de solidarité.
Où en sont les pouvoirs publics dans leurs réponses à cette crise du logement ?
Deux illustrations démontrent, selon nous, un manque criant d’ambition nationale pour le logement :
La première, c’est le fait que le Logement ne dispose toujours pas de Ministère de plein exercice. C’est peut-être un détail pour Matignon, mais pour nous ça veut dire beaucoup…
La deuxième, elle se trouve dans les propos du premier ministre à l’occasion de son discours de Politique Générale. Il propose de comptabiliser les logements intermédiaires dans les 20% ou 25% de logements sociaux dont doivent disposer les communes.
Cette annonce n’est ni plus ni moins qu’un coup de poignard portée à la loi SRU (la loi solidarité et renouvellement urbain) !
L’esprit de la loi en est dénaturé, qui vise à avoir des logements abordables pour des personnes à faible ressource sur l’ensemble du territoire français !
Alors que l’Etat sous-investit régulièrement dans le secteur du logement et en particulier du logement public depuis des années, Brest métropole, sous l’impulsion de notre majorité progressiste d’Union de la Gauche, a pris quant à elle, avec Brest Métropole Habitat, le chemin opposé.
Très tôt, notre collectivité a pris la mesure des problématiques de logement et a développé une action extrêmement volontariste sur le sujet, que cela soit dans l’accompagnement des ménages les plus modestes. Que cela soit aussi dans les choix d’investissements et la production de logements publics qui ont été et qui seront réalisés ces prochaines années.
Permettre à chacun et chacune de bénéficier d’un logement de qualité, permettre à quiconque le souhaite de se loger sur notre territoire dans de bonnes conditions…
Oui, notre majorité a fait du logement une priorité, tant sur le logement public que le parc privé, en gardant toujours en tête cette nécessaire complémentarité avec l’action de l’Etat en la matière, en défendant aussi l’idée de disposer de pouvoirs propres et des moyens financiers correspondants, pour répondre au plus juste aux spécificités locales et aux besoins des populations en matière de logement.
Brest métropole a ainsi été la première collectivité à signer avec l’Etat une convention de délégation d’attribution des aides publiques au logement en 2005.
C’est l’objet de cette délibération qui vous est aujourd’hui présentée et qui propose donc une prorogation pour un an de cette convention.
Monsieur le Président, mes chers collègues, vous l’aurez noté, l’avenant à cette convention réduit le champ d’action de Brest métropole sur les politiques logements car notre collectivité se voit retirer par le préfet la délégation de la garantie du droit à un logement décent et indépendant.
Autrement dit, le DALO ne figure plus dans cette convention…
Rappelons que jusqu’ici, nous étions l’une des quatre seules collectivités sur le territoire national à disposer de cette délégation et pour l’exercer, du contingent préfectoral de logements.
Nous prenons acte de cette décision de l’Etat. Au-delà de notre incompréhension certaine, c’est aussi une décision que nous regrettons profondément et qui, selon nous, s’inscrit à contresens de l’histoire et du « choc de décentralisation » pourtant inlassable mantra gouvernemental.
Devenue première Autorité organisatrice de l’habitat en 2022, il est en effet naturel et logique, que notre collectivité, Brest métropole, au regard de son engagement historique en matière d’habitat, s’inscrive dans ce souhait de davantage de décentralisation, d’expérimentations locales, en matière de politiques logement.
Cependant, nous disons aussi que cette territorialisation et cette prise en compte des enjeux de logement ne saurait se réaliser à n’importe quel prix.
En tant que garant de la cohésion et de la solidarité nationale, l’Etat doit assurer aux collectivités et aux organismes HLM les moyens financiers nécessaires et correspondant aux délégations de compétences, aux besoins spécifiques des populations, différents selon les territoires…
Malgré une stratégie et des politiques d’investissement ambitieuses menées avec BMH, 7500 ménages restent toujours en attente de logements à Brest. La situation est tendue.
Aujourd’hui, cette volonté politique, que vous avez rappelé à plusieurs reprises Monsieur le Président, d’une meilleure territorialisation de l’action publique en matière de logement, d’une plus grande capacité d’agir pour notre collectivité au plan local, se trouve percutée par le souhait de l’Etat de reprendre la main, nous dit-on « pour des raisons stratégiques » (quelles sont-elles ?) sur la gestion du Droit au Logement Opposable et du contingent préfectoral de logements sociaux alors même que les bilans de la collectivité en la matière sont satisfaisants, ce dont convient le préfet.
C’est une décision que nous regrettons et c’est la raison pour laquelle nous sommes contraints aujourd’hui de présenter une convention de délégation des aides à la pierre, amputée de ce sujet, pourtant central dans le parcours résidentiel des habitantes et habitants de la métropole.
Nous formulons le souhait que cette nouvelle gestion en direct du DALO par l’Etat fasse l’objet d’un bilan circonstancié, détaillé, dans la perspective d’une nouvelle convention conclue avec l’Etat à partir du 1er janvier 2025.
Nous y serons particulièrement attentifs.
Monsieur le Président, l’avis de la commission est favorable à la majorité.
Je vous remercie.